Les progrès de l’électroménager ont-ils aidé les femmes à sortir de leur cuisine ? La question est plus épineuse qu’il n’y paraît. Même si l’automatisation de certaines tâches a pu faire gagner un temps précieux aux femmes pour sortir de leur foyer, l’essor de l’électroménager , – et surtout les campagnes publicitaires qui l’ont accompagné – a eu également des effets pervers.
Mais pourquoi l’avènement de l’électroménager aurait-il pu aider l’émancipation des femmes ?
Pendant des siècles, ce sont les femmes qui ont été chargées de la gestion du foyer. Cette idée a été renforcée par le phénomène de l’industrialisation au cours du XIXe siècle : auparavant, le lieu de vie était le lieu de travail (ferme, atelier d’artisan) de la plupart des familles. Mais le développement des usines sépare le lieu de vie du lieu de travail, et dans le même temps le rôle masculin du rôle féminin. A cela s’ajoute la construction de l’idéal de l’homme gagnant suffisamment d’argent pour permettre à son épouse de ne pas travailler. Pour ces raisons, le modèle de la femme au foyer s’est largement répandu en France.
Les premiers appareils électroménagers sont arrivés dans les années 1930 et on permis aux femmes des gains de temps considérables – par exemple, posséder un réfrigérateur permettait de s’approvisionner en denrées alimentaires moins souvent, et donc de faire des économies de temps et d’énergie.
Désormais, il suffisait d’appuyer sur un bouton pour lancer une lessive par exemple, et l’on pouvait vaquer à nos occupations. Les marques de l’époque l’ont bien compris, comme Brandt, qui promettait 4 semaines de congés supplémentaires aux acheteuses.
La plus célèbre des campagnes de publicités, qui a radicalement changé la perception de l’électroménager, est la publicité de Moulinex, « Moulinex Libère la Femme ». Dans le discours tenu, on passe d’un électroménager qui serait là pour améliorer la qualité de la cuisine de la femme, et par voie de fait le confort du mari, à un électroménager qui libère la femme et lui permet de prendre du temps pour elle. Elle laisse tomber le tablier, apanage de la femme au foyer des années 50 : tout un symbole !
L’automatisation de certaines tâches ménagères a donc permis des gains de temps certains pour les femmes, condition nécessaire de leur émancipation.
Une étude américaine montre que sur les années 1960-1970, l’utilisation d’appareils électroménagers s’est traduite par une nette augmentation du taux de participation des femmes mariées à la vie active. L’équipement en électroménager, couplé aux nouvelles méthodes de contraception, a donc permis aux femmes de commencer à mener des carrières professionnelles, grâce au temps libre dont elles disposaient désormais.
Puis, au fur et à mesure du progrès technique, la baisse des prix des biens d’équipement ménagers a permis de généraliser ce phénomène aux familles possédant moins de moyens.
Cependant, cette émancipation reste à nuancer : en clamant faciliter la vie des femmes dans leur foyer, on disait aussi que l’électroménager était une affaire de femmes.
Toutes les publicités pour des appareils électroménagers durant les Trente Glorieuses s’adressaient en effet uniquement et exclusivement à un public féminin. Ce choix fait par les publicistes vient renforcer, encore et encore, l’idée du partage genré des tâches ménagères, où les femmes sont les seules et uniques responsables de la tenue de la maison.
On voit que ces idées ont tendance à perdurer même aujourd’hui, en 2020, où l’on retrouve encore cette représentation genrée. Des scandales touchent régulièrement à la fois marques et distributeurs lorsqu’ils associent systématiquement femmes et électroménager – comme Boulanger en 2015.
On retrouve ces idées dans la publicité. Le CSA a ainsi analysé une partie du paysage publicitaire télévisuel français en 2017 en fonction de la représentation des hommes et des femmes. Il y aurait ainsi toujours cette répartition femme consommatrice / homme expert dans les publicités liées aux objets et produits domestiques.
Et encore aujourd’hui, en France, subsistent d’énormes écarts dans le temps consacré par les hommes et les femmes aux tâches ménagères. Et ce, malgré les avancées technologiques de l’électroménager : les données de l’INSEE montrent que, même si le temps domestique quotidien des femmes s’est considérablement réduit depuis 1999, les femmes passent en moyenne 1h30 de plus par jour à s’occuper de leur foyer que les hommes.
Car, bien que l’électroménager facilite les tâches domestiques, il faudra toujours quelqu’un pour appuyer sur le bouton. La question est désormais de savoir qui.
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